L’intelligence artificielle n’est plus un mirage technologique pour les professions juridiques, elle s’installe avec force dans le quotidien des juristes. À Rabat, lors d’une conférence marquante, Omar El Kalai – ingénieur, physicien et juriste – a dressé un état des lieux sans fard de cette mutation, appelant les professionnels du droit à s’approprier ces outils pour ne pas décrocher du train de la transformation.
La pratique juridique se complexifie à mesure que s’épaississent les dossiers, que les enjeux financiers et techniques s’entremêlent, et que les exigences de réactivité s’intensifient. Dans ce contexte, l’IA ne relève plus de la science-fiction. Elle devient un levier stratégique, même si elle n’est pas exempte de zones d’ombre.
Aujourd’hui déjà, elle assiste les juristes dans des tâches telles que l’analyse sémantique, l’extraction d’informations, la rédaction assistée ou encore la prédiction de risques. Grâce au traitement du langage naturel et à l’IA générative, ces outils permettent de mieux cibler les priorités, tout en libérant du temps pour les missions à forte valeur ajoutée.
L’un des apports les plus concrets se situe dans l’aide à la rédaction. Un modèle entraîné peut structurer un jugement, synthétiser des faits, assurer la cohérence d’un raisonnement juridique. Loin de remplacer l’humain, il agit comme un copilote au service d’une justice plus efficace. De même, l’analyse automatisée des contrats, en particulier dans les marchés publics, montre des gains considérables en précision et en temps, grâce à l’extraction de données clés et à la détection d’anomalies ou de clauses problématiques. Omar El Kalai a d’ailleurs co-développé un assistant IA localisé, formé sur des documents marocains et fonctionnant sans transfert de données, illustrant un usage éthique et contextuel de la technologie.
Dans les litiges financiers, l’IA déploie toute sa puissance : reconstitution de chronologies, comparaison d’écarts contractuels, visualisation de flux complexes. Autant d’opérations qui deviennent plus accessibles dans des affaires traditionnellement lourdes.
Mais l’évolution technologique impose aux juristes une nouvelle grammaire de compétences. Comprendre les bases du machine learning, formuler des requêtes pertinentes, interpréter les résultats sans naïveté : ces aptitudes deviennent incontournables. L’IA propose, le juriste dispose – à condition de conserver son esprit critique.
Ce nouveau juriste devra aussi jouer collectif : échanger avec des data scientists, collaborer avec des développeurs, intégrer des logiques pluridisciplinaires. L’innovation juridique passera par ces croisements de savoirs.
Toutefois, l’IA n’est ni infaillible ni neutre. Biais d’entraînement, hallucinations, approximations : les dérives sont réelles, avec des conséquences juridiques potentiellement lourdes. D’où la nécessité de maintenir une vigilance de tous les instants.